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jeudi 23 février 2012

Le kannada - ಕನ್ನಡ

La langue maternelle des fillettes est le kannada. Rien à voir avec le pays, il s’agit de l’une des 18 langues officielles de l’Inde, qui possède son propre alphabet de 52 lettres, sa grammaire, sa littérature, ses films. Comme c’est la langue principale du Karnataka, c’est la langue maternelle de plus de 32 millions de personnes, qui par ailleurs ne maîtrisent généralement pas le hindi, la langue nationale, ou l’anglais.

Une rue au Karnataka, observez le camion...
Cette langue fait partie de la famille des langues dravidiennes, principalement parlées au sud de l’Inde, et dont les plus connues sont, avec le kannada, le tamoul (au Tamil Nadu), le malayalam (au Kérala) et le télougou (en Andhra Pradesh). On connait mal les origines de ces langues. Linguistiquement parlant, elles sont très différentes des langues du nord de l’Inde, et notamment des langues indo-européennes, famille à laquelle appartient l’hindi. Cependant, les contacts prolongés entre les deux familles ont entraîné de nombreux emprunts, de part et d’autre.

Plutôt que de vous faire un « résumé » d’un manuel de linguistique, nous avons choisi de vous faire partager l’expérience de Chloé, qui durant l’année qu’elle a passée à Siraguppa, a appris cette langue. En effet, si nous voulons vous parler de cette langue, c’est avant tout parce que nous pensons que ses caractéristiques sont aussi révélatrices de la société et de la culture, que ce soit le système familial, les relations hommes/femmes, le rapport au temps, etc. 

Affiche d'un film kannada

Le vocabulaire concernant la parentèle est généralement très développé dans les langues indiennes. Comme nous le dit Chloé, « Les termes de « frère » et « sœur » n’existent pas, on utilise « frère aîné », « frère cadet », « sœur ainée » et « sœur cadette ». Le positionnement « responsable » ou « sous la responsabilité de » est donc essentiel. Cette approche se distingue de notre référentiel frère/sœur sur un pied d’égalité. Dans une même logique, « oncle » et « tante » sont remplacés respectivement par quatre termes chacun : « oncle ainé paternel », « oncle cadet paternel », « oncle aîné maternel ou mari de la tante aînée paternelle », « oncle cadet maternel ou mari de la tante cadette maternelle ». Après son mariage, la femme « appartient » au côté de son mari, et ce sont les hommes de ce côté de la famille qui portent des responsabilités, comme par exemple la prise en charge d’éventuels orphelins. D’où la situation particulièrement précaire des filles de devadasis, « sans père » et donc sans famille paternelle.

Le mot « non » n’existe pas. Je me rappelle encore un moment de « solitude » lorsque j’avais proposé à ma professeure de kannada de faire des « Yes or no question ». La négation peut être formulée de trois manières : « illa » qui veut dire « il n’existe pas, il n’y a pas » (il n’y a pas de sucre ici),  « béda » qui veut dire « il ne faut pas » (tu ne dois pas aller là-bas). Le dernier cas est le plus délicat à comprendre pour un « extérieur » à cette culture : utiliser des formulations affirmatives mais sans insister. Par exemple : « ce déjeuner est très bon », l’affirmative étant plutôt « ce déjeuner est vraiment excellent, je me régale », ou encore « j’arrive tout de suite » et non « j’arrive, je vais être là d’un instant à l’autre, attends-moi ».

Des devantures de magasin
Le rapport au temps est également assez différent, les langues indiennes insistant beaucoup plus sur « l’aspect » de l’action (finie ou non, par exemple) que sur son positionnement dans le temps. Comme en anglais, il existe le présent simple (je vais / « hogutteene ») et continu (je suis en train d’aller/ « hogtaviddini »). Le présent continu peut ainsi servir soit pour des actions en train de se dérouler (je suis en train d’aller à la maison), soit pour des actions à venir (demain j’irai à la maison). Ce point est pour moi lié à un certain rapport au temps, moins « contrôlé » et chronologique (en hindi, le même mot sert à « hier » et « aujourd’hui »).  A mon arrivée, j’avais tenté d’organiser mon temps de travail avec un agenda, pratique fort inutile sur place, que j’ai donc abandonnée par la suite.
Les termes de salutation reflètent également le contexte de développement de la langue. « Ca va ? » est remplacé par « as-tu eu ton petit déjeuner/ton déjeuner ? » ou « es-tu en bonne santé ? », symbolique de deux points de focalisation importants, dans une zone où la malnutrition et les problèmes de santé sont particulièrement prégnants. Les termes d’adresse (c'est-à-dire la façon dont on s’adresse à quelqu’un) sont également révélateurs. Ainsi, les marques de respect attachées au vouvoiement sont beaucoup plus marquées qu’en français (le pronom personnel « il » a ainsi une forme différente s’il s’agit d’une personne que l’on vouvoie ou tutoie). Et les règles à ce sujet sont assez distinctes des nôtres. Le mari tutoie sa femme, la femme vouvoie son mari. Les enfants vouvoient leurs parents, qui tutoient leurs enfants. Les personnes ayant un « statut important » (fonctionnaire, employé de banque, etc.) tutoient les personnes peu éduquées ou de bas statut (paysans journaliers, ouvriers). Sur ces deux points, une fois n’est pas coutume, j’ai toujours fait des erreurs volontaires, en tutoyant mon mari et en vouvoyant les ouvriers et les devadasis avec qui je travaillais pour marquer à quel point je les respectais et je les considérais. »

Nous espérons que ce petit tour d’horizon du kannada vous aura plus. Là encore, il ne s’agit pas d’un exposé scientifique, mais plutôt d’un récit, subjectif, d’une rencontre avec une langue, et de ce qu’elle semble révéler de ces locuteurs.