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mardi 19 octobre 2010

L’éducation des petites filles au cœur du projet de l’orphelinat

Voilà maintenant plusieurs semaines que je suis revenue de Siruguppa où j’ai passé deux mois au sein de l’orphelinat avec Prema et les enfants. De nombreuses choses m’ont touchée lors de mon séjour. Parmi elles, la condition des femmes m’a particulièrement interpellée, si bien que je souhaiterais revenir sur cet élément crucial de l’environnement de l’orphelinat. La condition des femmes de manière générale dans les régions pauvres de l’Inde constitue en effet un élément fondamental à prendre en compte si l’on veut comprendre le contexte de l’orphelinat mais aussi l’enjeu que ce dernier représente très concrètement pour l’avenir des petites filles.



La condition des femmes indiennes est connue et dénoncée à de nombreux niveaux, que ce soit dans les média, les ONG, etc. En partant en Inde cet été, je pensais donc avoir une certaine connaissance de ce sujet. Pourtant, mon séjour à l’orphelinat m’a fait prendre conscience des conditions de vie des femmes, et souvent de leur détresse. Quoique tristes et souvent insupportables au plus haut point, ces témoignages n’ont fait que rendre à mes yeux l’existence de l’orphelinat d’autant plus cruciale. En effet, outre le système de caste et le système des devadasis (c'est-à-dire un système de prostitution « traditionnelle » plus ou moins institutionnalisée et forcée, sur lequel nous reviendrons), les violences conjugales et la soumission des femmes aux hommes permettent de rappeler, s’il était besoin, tout ce que représente l’orphelinat Ingrid Nava Jeevana pour les petites filles qu’il accueille.

Il vise à faire d’elles de futures jeunes filles et femmes indépendantes et autonomes.

La condition des femmes en Inde, en particulier dans les régions peu développées comme celle où se trouve l’orphelinat, est extrêmement difficile et précaire. Dans la zone de l’orphelinat (zone rurale), quel que soit le milieu social, que l’on soit musulman, chrétien ou hindou, et quelle que soit sa caste parmi les hindous, le destin de chaque femme est conditionné par son mariage et la personnalité de l’homme qu’elle épouse, sachant que la quasi-totalité des mariages à ce jour sont des mariages arrangés par les parents. Il s’agit donc en quelque sorte d’une loterie où les véritables gagnantes sont rares : si le mari attribué à telle femme est violent, alcoolique, dépensier, ou tout cela à la fois, la femme n’aura d’autre choix que de subir. Elle ne pourra, dans la plupart des cas, ni lui faire de reproches, ni divorcer, ni se plaindre auprès de qui que ce soit.

Et de fait, la violence conjugale est particulièrement développée. Prema, qui a tissé des relations de confiance avec de nombreuses femmes (de toutes religions, de toutes castes et de tous niveaux de richesses) de la région, reçoit régulièrement chez elle la visite de femmes, qui sont à bout et ne supportent plus la violence permanente et intolérable de leurs maris. Pour certaines d’entre elles, Prema est le dernier recours avant le suicide. Ces femmes sont en effet littéralement seules au monde : parfois coupées de tout lien avec leur propre famille depuis leur mariage et rejetées par leur belle-famille si celui-ci vient à mourir, quasi systématiquement battues par leur mari,... Prema essaie de les aider de son mieux, en fonction de leurs situations respectives : organiser une rencontre entre le mari, la femme et les « aînés » de leur caste/religion (qui vont jouer un rôle de médiation), rencontrer l’employeur du mari pour faire pression, rencontrer les parents du mari ou de la femme, aider la femme à trouver une activité génératrice de revenus pour être financièrement moins dépendante de son mari, etc.

Autant de destins malheureux qui viennent rappeler les objectifs de l’orphelinat : offrir un autre avenir aux petites filles que celui que leurs parentes et voisines ont reçu. Offrir des perspectives de vie meilleure à ces petites filles, mais aussi contribuer, même à une échelle modeste, à changer les mentalités.

Cette situation illustre d’ailleurs l’écart qui existe entre une législation de plus en plus favorable aux femmes dans de nombreux domaines, et la réalité de la condition féminine sur le terrain. A cela s’ajoute la complexité du droit familial en Inde, qui dépend de la religion des protagonistes, il existe en effet un code civil hindou (qui s’applique aussi aux sikhs, jaïns et bouddhistes, soit près de 85% de la population), un code musulman (environ 13% de la population), un chrétien (2, 3%) et un parsi. Le code personnel hindou est très proches des « normes occidentales » en matière de divorce, mais les codes musulman et chrétien sont sur certains aspects, comme le droit des femmes à demander le divorce et le droit à une pension alimentaire, moins avantageux pour les femmes. Toutefois, en cas de violence conjugale, tous les codes civils accordent le droit de divorce, et le problème vient plutôt du fait qu’être une divorcée est une position sociale particulièrement peu avantageuse. Pour les hindoues et les chrétiennes particulièrement, le divorce est souvent incompatible avec leurs propres convictions religieuses. Il n’existe pas de chiffre officiel, mais d’après la BBC (http://www.bbc.co.uk/news/10284416) seulement 1,1 % des mariages se terminerait par un divorce en Inde. Si ce chiffre souligne la solidité de l’institution en Inde, ce qui n’est d’ailleurs pas négatif, il rend évident le caractère encore socialement anormal du divorce dans ce pays. De plus, l’absence d’autonomie financière des femmes rend difficile l’entreprise souvent longue qu’est le divorce, d’autant plus qu’elles ne peuvent pas toujours compter sur l’aide de leur famille, qui ne souhaite pas forcément partager leur « honte », ou qui n’a pas toujours les moyens financiers de les entretenir (notamment parce que marier une fille est un événement particulièrement couteux en Inde).


Seules l’éducation et l’indépendance qui en résulte permettra aux petites filles d’échapper à un tel destin. Leur présence au sein de l’orphelinat leur permet donc non seulement d’échapper à une enfance qui n’en est pas une mais aussi de fuir un déterminisme malheureusement prégnant pour beaucoup de petites filles indiennes des régions pauvres.

C’est pourquoi Prema insiste sur la réussite scolaire des petites filles et leur éducation sociale en général. Les petites filles reçoivent en effet une instruction très stricte et Prema nourrit des ambitions pour toutes, en espérant que chacune trouvera sa voie et s’épanouisse dans ce qui lui plaît le plus, que ce soit les études, la danse, le sport, la musique…

Si l’éducation, et partant l’indépendance matérielle et financière permettront aux petites filles d’être libres et autonomes, l’indépendance d’esprit et la confiance en soi constituent des facteurs tout aussi fondamentaux. C’est pourquoi, au-delà du seul travail scolaire, elles font de nombreuses activités qui leur permettent de développer ces qualités.